Villes flottantes
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    Kit Presse
    https://www.elsamro.com/kit-presse/

    The indulge express
    This artistic duo creates immersive eco-stories through pop-ups and digital landscapes

    The Tribune
    https://www.tribuneindia.com/news/arts/in-times-of-global-warming-a-festival-for-oceans/

    Villa Albertine
    https://villa-albertine.org/va/professionals/interview-with-residents-cecile-palusinski-and-elsa-mroziewicz/

     

    Interview

    Pouvez-vous nous raconter votre parcours artistique ?

    Elsa Mroziewicz : 
    Mon parcours artistique s’est construit à la croisée des arts visuels, du livre animé et de l’animation. Je réalise notamment des livres pop-up, en intégrant les nouvelles technologies, notamment la réalité augmentée. L’âme de mon travail est façonnée par les voyages et les échanges humains qui en découlent, ainsi que par un lien profond à la contemplation de la nature et à l’exploration des héritages et mémoires culturelles. Ce qui m’anime, c’est de créer des univers sensibles et immersifs, où les techniques traditionnelles et le numérique se rencontrent pour raconter des histoires autrement.

    Cécile Palusinski :
    A l’origine auteure de l’écrit, avec plusieurs publications de livres à mon actif, j’ai élargi  depuis 7 ans mon travail à l’écriture sonore et aux projets en réalité augmentée, virtuelle ou mixte Je m’intéresse particulièrement à la manière dont la voix, le texte et la musique peuvent dialoguer avec l’image et s’enrichir mutuellement, en explorant de nouveaux formats narratifs. Mon engagement dans la mise en lumière du livre audio francophone, à travers l’association La Plume de Paon, nourrit aussi mon envie de rendre les récits accessibles et vivants, au-delà du papier.

    Elsa et Cécile :
    Nous nous sommes toutes les deux rencontrées il y a 15 ans autour d’un projet d’album-CD L’épopée de Noé, puis nous avons créé de nombreux projets ensemble, navigant entre les mondes de l’édition et de l’art contemporain. Nos univers se sont rejoints autour de notre souhait commun de mêler art, poésie et technologies immersives, dans des projets de création engagés qui questionnent le rapport de l’homme à son environnement. Villes Flottantes est le fruit de cette volonté commune de raconter le monde « autrement », à travers des fresques sonores en réalité augmentée.

    Fondatrices du Studio Under the Starry Vault, nous avons d’abord co-réalisé le projet transmedia Arbres-Mondes, le livre pop-up géant en réalité augmentée Le Baobab, qui a fait partie des finalistes du Prix Meggendorfer for artist books 2023 (USA) ou encore l’œuvre sonore monumentale en réalité augmentée La Forêt universelle. Puis nous avons été lauréates de plusieurs résidences : Villa Formose à Taïwan, Villa Swagatam en Inde, résidence au Brésil avec le soutien de l’Institut français et du Consulat Général de France à Recife, et Villa Albertine à Miami pour le projet Villes flottantes. Cela nous a permis de développer la dimension multi-culturelle de nos œuvres, qui nous est chère.

    1. Pouvez-vous nous parler de votre processus créatif pour cette œuvre ? Comment le concept a-t-il évolué, de l’idée à la réalisation ?

    Le projet Villes Flottantes est né d’une réflexion commune autour de l’avenir des villes côtières face aux changements climatiques et à l’impact des activités humaines sur l’océan. Très vite, nous avons eu envie d’imaginer des villes imaginaires, où cohabiteraient solutions écologiques (barrières naturelles, etc.) et innovations inspirantes (décarbonisation dans le domaine de la construction, etc.). Ces villes flottantes sont des espaces à la fois réels et poétiques, mêlant solutions écologiques et récits imaginaires, nourris de la mythologie liée à l’eau.

    Notre processus s’est construit au fil de résidences dans plusieurs pays, notamment en Inde, où nous avons découvert des pratiques comme la rizipisciculture et les jardins flottants du Kerala. Ces expériences vécues sur le terrain lors de nos résidences à Taïwan, en Inde, en Tunisie, au Brésil et aux Etats-Unis ont nourri l’œuvre, en l’enrichissant d’initiatives concrètes, chaque lieu apportant sa propre vision des enjeux écologiques.  Ce va-et-vient entre recherches, rencontres avec des scientifiques, communautés, ethnologues, association de protection des océans, et création a donné naissance à Villes flottantes sous la forme actuelle :  de grands tableaux sonores en réalité augmentée qui donnent à découvrir des innovations, avec cette idée sous-jacente de créer des passerelles entre art et sciences.

    1. Quelles émotions ou idées souhaitiez-vous capturer ou évoquer à travers cette œuvre ?

    Nous voulions avant tout réenchanter le regard porté sur l’océan. Nous rencontrons aussi régulièrement des écoles lors de la diffusion de nos projets et avons constaté qu’il y avait une forte éco-anxiété aujourd’hui chez les jeunes et il était essentiel pour nous d’insuffler de l’espoir et de la beauté. L’œuvre est une invitation à l’émerveillement, mais aussi à la réflexion : comment inventer des modèles de société plus respectueux de la nature, comment retrouver un lien sacré à la nature ? Villes Flottantes propose un imaginaire autour de l’océan : un espace où l’on peut découvrir des solutions inspirantes et redécouvrir aussi la beauté et la magie du vivant. Nous avons aussi cherché à créer un lien sensible entre le spectateur et l’océan, en convoquant des voix, des sons et des images animées qui viennent peupler ces cités imaginaires. Chaque tableau est une porte d’entrée vers un ailleurs, mais aussi une invitation à penser notre place dans le monde. Nous avons aussi souhaité rendre hommage aux savoirs ancestraux, notamment des peuples-racines, et aux liens spirituels que de nombreuses cultures entretiennent avec l’eau, en les intégrant aux innovations scientifiques présentées dans l’œuvre. C’est cette double lecture – poétique et écologique – que nous avons voulu transmettre.

    1. Bon nombre de vos installations intègrent de nouveaux médias et des éléments immersifs. Qu’est-ce qui vous a attiré vers ces formats ?

    Selon nous, les nouveaux médias élargissent l’expérience artistique. Ils nous permettent de multiplier les niveaux de lecture : visuel, sonore, interactif. La réalité augmentée, notamment, donne corps à l’invisible, à ces mondes flottants et poétiques que nous imaginons. C’est une manière d’embarquer le spectateur dans un voyage sensoriel, de le rendre acteur de sa propre exploration, tout en créant un pont entre techniques artistiques traditionnelles, comme le dessin, et innovation technologique. Ces formats nous intéressent aussi parce qu’ils créent une expérience active pour le spectateur, qui devient lui-même explorateur de l’œuvre. Nous aimons beaucoup cette idée de pouvoir penser des expériences de lecture non linéaire, où le lecteur vagabonde au cœur de l’œuvre et choisit son propre chemin. Ces formats permettent aussi de toucher un public plus large, notamment les jeunes générations, adeptes des nouvelles technologies.

    1. Votre pratique a-t-elle évolué au fil du temps, en particulier dans votre approche des thèmes liés à la nature ou à l’environnement ?

    Au fil de nos projets, la présence des thèmes liées à la nature s’est ancrée de plus en plus profondément dans nos œuvres. Nous sommes passées d’une approche contemplative à une démarche plus engagée, plus collaborative, où l’art devient aussi un espace de transmission, de réflexion collective, de mise en lumière de solutions. Nous ne nous contentons plus simplement de représenter la nature : nous cherchons à interroger, à faire dialoguer arts et sciences. Chaque projet renforce notre conviction que l’art peut être un levier pour réparer, relier, réenchanter. Aujourd’hui, nous pensons l’art comme un levier de reconnexion et de transformation, pour nous-mêmes et pour le public. A titre personnel, nous avons fait aussi le choix de reverser une partie de nos bénéfices à des associations œuvrant à la protection de la nature car réflexion, création et action sur le terrain nous semblent aujourd’hui indissociables.

    1. Que signifie l’océan pour vous personnellement ? A-t-il joué un rôle dans la formation de votre vision du monde ou de votre parcours artistique ?

    Nous vivons toutes les deux à Strasbourg, dans une ville éloignée de l’océan. Aussi, si nous avons un imaginaire très développé autour des forêts, l’océan était pour nous quelque chose de moins familier, à investir et à découvrir. L’océan, pour nous, incarne ce qui est vaste, mystérieux, mouvant. C’est un lieu de connexion entre tous les vivants, un espace sacré et fragile à la fois. Travailler sur Villes Flottantes nous a permis de découvrir l’océan à travers les regards croisés de scientifiques, d’artisans, de communautés locales et de récits mythologiques, et d’approfondir notre lien intime avec cet élément, en tant qu’artiste et en tant qu’être humain. Il incarne l’espoir, mais aussi l’urgence d’agir. A travers ce projet, l’océan est devenu pour nous un miroir de notre rapport au monde, de nos défis et de nos espoirs, une métaphore de la nécessité de cohabiter, de s’adapter, d’inventer de nouvelles façons d’habiter la Terre. L’océan est devenu pour nous un territoire d’inspiration, mais aussi un appel à la responsabilité et à la solidarité. Une exploration que nous souhaitons poursuivre avec notre prochain projet en réalité mixte, Les gardiens de l’océan, en cours de développement, qui nous permettra l’explorer plus en profondeur les figures mythologiques liées à l’eau.

    1. Comment votre parcours culturel, géographique ou universitaire a-t-il influencé votre approche de cette exposition ?

    Nous avons toutes les deux une passion du voyage et de la découverte des autres cultures. Mettre en lumière la singularité de chaque culture, tout en révélant ce qui peut être de l’ordre d’un inconscient collectif qui nous rapproche, est un fil rouge dans tous nos projets de création.

    Nos cultures européennes, combinée aux expériences vécues lors de nos résidences à l’étranger, nous ont donné envie d’intégrer des récits pluriels et multi-culturels pour créer un imaginaire collectif. Nos parcours combinent l’art, la poésie, les technologies numériques et, plus récemment, l’artisanat, avec une curiosité constante pour les autres cultures et formes de pensée. C’est cette richesse d’influences qui nous a permis d’imaginer Villes Flottantes comme un espace hybride, multiculturel et poétique, à la fois ancré dans des réalités écologiques et ouvert à l’imaginaire collectif. Un espace de création qui valorise les voix locales et les solutions écologiques propres à chaque territoire.

    Pour ce projet, il a été aussi important pour nous de donner à entendre les textes dans différentes langues (français, anglais, portugais/brésilien et prochainement arabe et chinois), afin d’enrichir encore ce projet à dimension multi-cuturelle.

    1. Quelle direction votre pratique va-t-elle prendre à l’avenir ?

    Nous voulons continuer à explorer de nouvelles formes immersives, notamment avec notre nouveau projet Les Gardiens de l’Océan.  Nous souhaitons également poursuivre notre exploration des croisements entre art, artisanat, technologie et écologie. Notre processus créatif est marqué par la rencontre entre ces deux temporalités qui semblent a priori opposées : le temps long de la nature, celui de la contemplation, et le temps accéléré des technologies. Ainsi, nous travaillons actuellement  sur un projet de version brodée de nos fresques, suite à des rencontres avec des collectifs de brodeurs.  Ce projet permettra de tisser des liens entre des techniques artisanales traditionnelles, qui s’inscrivent une fois encore dans un temps long, et les technologies numériques, tout en développant la dimension sociale de nos œuvres. Nous envisageons aussi de renforcer la dimension internationale de nos projets, en multipliant les collaborations, et en créant des œuvres modulables et adaptables aux différents contextes culturels.

    1. Votre travail mêle art et préoccupations environnementales. Comment conciliez-vous créativité et militantisme ?

    Nous voyons l’art comme une forme de militantisme poétique. Plutôt que de délivrer un message frontal, nous choisissons d’ouvrir des espaces d’émotion, de contemplation et de questionnement. La créativité est notre moyen de toucher les publics, de semer des graines qui, peut-être, germeront en actions. En valorisant les savoirs autochtones, les innovations locales, nous essayons de montrer que d’autres futurs sont possibles, en évitant toute forme de culpabilisation. Pour nous, la créativité est une forme de militantisme doux. Plutôt que d’asséner un message, nous préférons ouvrir des espaces sensibles, éveiller la curiosité, susciter l’émotion et la réflexion. Nous croyons que l’art peut changer notre regard et que cette transformation intérieure est essentielle pour accompagner les changements écologiques. En tissant des récits poétiques, nous essayons de montrer que l’espoir est possible, et que chacun peut être acteur d’un futur plus respectueux du vivant. Pour nous, la créativité est un levier puissant pour semer des graines de changement.

    1. Selon vous, quel rôle l’art peut-il jouer dans la sensibilisation aux écosystèmes marins et au changement climatique ?

    L’art a cette capacité unique de traduire l’invisible, de donner forme et voix à ce qui parfois nous échappe. Il peut transformer ce qui ne sont que des données scientifiques en expériences incarnées, artistiques, poétiques, émotionnelles. Il peut rendre sensibles des réalités complexes, en les incarnant dans des récits, des images, des sons. Avec Villes Flottantes, nous espérons que l’art agira comme un miroir et un phare : miroir des défis et des beautés du monde marin, phare pour imaginer ensemble des voies nouvelles, respectueuses de la planète.

    Nous espérons que l’art peut toucher là où les discours rationnels échouent parfois, en provoquant une émotion, une envie de s’engager. C’est tout notre parti avec Villes Flottantes !